Le management organique - Singularity academy
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Le management organique

Dans le paysage émergent de l’entreprise organique, le manager traditionnel, qu’il soit charismatique, impersonnel ou consensuel aura de la peine à se positionner. Ses qualités traditionnelles comme l’exemplarité technique, la soumission sans faille à la hiérarchie et l’autorité assertive vis à vis de la “base” deviennent des handicaps.

Immergé dans un écosystème de plus en plus mouvant il lui faudra en revanche faire preuve de souplesse, de tolérance et surtout de curiosité pour les personnes qui l’entourent. L’adaptabilité d’un manger dépend en effet grandement de sa sensibilité aux signaux faibles : un soupir, une grimace, une question anodine, un silence un peu long. Sur une mer agitée le bon capitaine sait reconnaître de très loin une ombre qui pourrait être un écueil ou au contraire une terre hospitalière. De la même façon que la révolution des entreprises va s’opérer de l’intérieur vers l’extérieur avec moins d’obsession pour ses procédures internes et plus de vigilance aux évolutions de son environnement, le style managérial devrait évoluer vers moins d’obsession pour le respect des procédures et plus de réceptivité, plus d’observation, plus d’écoute attentive à l’égard de ses collaborateurs, mais aussi de ses clients et de ses partenaires. Le manager du futur parle peu mais il sait faire parler celui qui a quelque chose à dire.

Cette fluidité indispensable dans la communication de tous les jours n’a que faire des costumes, des cravates, du vouvoiement et des titres : “Monsieur le président”, “Monsieur le directeur”, “Cher maître” etc. Ces titres, qui protègent les notables au sein de leur enveloppe perpétuent des cloisons et des distances dans un système qui doit être le plus fluide possible. Dans l’écosystème “organique” la communication informelle est beaucoup plus importante que la communication formelle. C’est elle qui permet le passage des signaux faibles (les messages implicites par exemple) qui sont porteurs des modifications à venir de l’environnement tandis que les signaux forts (les messages explicites) se contentent souvent d’enfoncer des portes ouvertes ou de renforcer les statuts et les rentes par des jeux de rôles convenus. C’est peut-être pour cette raison que les jeunes affectionnent les coworking, ces cafés où les travailleurs en freelance issus de tous les horizons viennent travailler autour de la même table et du même cappucino. Le mélange des genres produits des rapprochements inattendus, de la communication informelle, des idées improbables comme il en fleurit tant dans les cités cosmopolites comme San Francisco, Dubaï, Montréal, Londres, New York ou Singapour qui sont souvent les pépinières où l’avenir s’invente.

Dans notre article sur le management différentiel, j’ai présenté quatre styles managériaux complémentaires : le style charismatique, le style impersonnel, le style consensuel et le style organique. Dans un écosystème de plus en plus fluide, de plus en plus incertain, de plus en plus instable, il est clair que le style organique est le plus approprié. Car il est tout simplement le plus agile.

Le manager organique, qu’on peut aussi appeler manager agile, ne se contente en effet pas d’être un personnage ouvert à la communication facile. Il exerce également un rôle d’intégrateur actif. Il joue un rôle essentiel dans le décloisonnement des services et le désenclavement des partenaires isolés. Il veille à l’intégration des nouveaux arrivants, il organise périodiquement des « événements fédérateurs » comme une conférence, une sortie, un repas ou un verre pour créer de la rencontre. Le petit déjeuner commun est une excellente façon de commencer une journée commune. Quand un collaborateur tend à être mis sur la touche en raison de son âge, sa spécialisation ou son originalité, le manager agile sait effectuer les rebranchements nécessaires. Il a compris le sens profond de son nouveau métier : créer et entretenir une intelligence collective qui va au delà de la somme des intelligences personnelles. Il fait donc également de son mieux pour créer des passerelles avec les autres cellules (j’allais dire « services ») en faisant exploser les cloisons artificielles qui inévitablement, avec le temps qui passe, tendent à s’installer autour des collectivités homogènes. Je me souviens d’un collège dont la principale avait fusionné avec succès la salle des professeurs, le local technique des personnels non enseignants et la bibliothèque destinée aux élèves.

Le rôle du manager organique se rapproche ainsi d’une certaine façon de ce qu’on appelle aujourd’hui un “chef de projet externalisé”, un collaborateur externe dont la mission consiste à tisser du lien non hiérarchique dans toutes les directions. Ses collaborateurs étant localisés sur des fuseaux horaires différents, la notion d’horaire n’a plus de sens pour lui. Pas davantage que celles de lieu de travail ou de statut hiérarchique. Le temps de désagrège lui aussi. Les projets sont éphémères et parallèles. Le travaille surabonde en alternance avec des périodes creuses.

Mais s’il est un domaine ou l’imagination du “manager organique” peut se déployer sans limite, c’est dans l’affranchissement vis à vis de l’espace. Les technologies de la mobilité autorisent maintenant toutes les folies, à commencer par les folies sages. A quoi cela rime-t-il d’obliger tous ses employés à venir pointer tous les jours à 9h dans le même local dénommé “bureau” si la connexion WiFi est 100 fois plus rapides à leur domicile et qu’il y a des embouteillages tous les jours entre 8h et 9h ? A quoi cela rime-t-il d’effectuer ses rendez-vous de recrutement dans un lieu dédié aux rendez-vous de recrutement avec des jeux de rôles et des échanges convenus ? L’objectif mutuel n’est-il pas de découvrir quels sont les vraies attentes et les apports réels du futur partenaire ? N’est-il pas plus efficace ce casser plusieurs fois la marionnette au cours du même entretien en changeant de décors, passant par exemple de la visite de l’entreprise à un café au réfectoire ou à un repas en ville ?

L’affectation à chaque collaborateur d’un bureau personnel avec serrure, armoires à serrure et mots de passe personnels est en passe de devenir anachronique. Accenture (autrefois Arthur Andersen) avait ouvert la voie en attribuant chaque matin le premier bureau disponible aux jeunes consultants de passage au siège. Google est allé beaucoup plus loin dans ses remarquables locaux de Zurich où il s’est efforcé de créer un grand nombre d’ambiances où chacun peut migrer en fonction de son inspiration : cabines de téléphériques, tipis d’indiens, toboggans en colimaçon, nacelles de ballons, baignoires installées devant des aquariums mais également salons Louis XVI ou bibliothèques studieuses. N’hésitez pas à faire une recherche sur “Google Zurich”. Le but n’est pas seulement de créer du fun et du sentiment d’appartenance, il est aussi de rompre les automatismes, de bousculer les immobilismes, de maintenir constamment les esprits en éveil.

Comme si l’avenir appartenait aux éveillés.

On peut ainsi se prendre à rêver d’une entreprise française de service qui oserait priver ainsi ses collaborateurs et même ses cadres dirigeants de leur “bureau” attitré pour leur offrir un village de vacances ou un mini parc d’attraction. On y trouverait entre autres :

  • Des îlots dédiés à la recherche ou à la curiosité individuelle. L’écran traditionnel peut y être complété par des lunettes, casques ou combinaisons pour s’immerger dans une réalité virtuelle.
  • Des îlots dédiés à la concentration individuelle. Ils pourraient ressembler à des cellules monacales dépouillées de tout, même d’une connexion internet, afin de faciliter, enfin, le recentrage et la lutte contre la grande maladie des temps futur : l’éparpillement intérieur. Une voiture isolée sur un parking peut faire aussi l’affaire.
  • Des îlots de concentration collective inspirés des « coworking places » (comme par exemple l’Anticafé ou La Cantine à Paris) sont destinés à ceux qui préfèrent une compagnie silencieuse assortie de casques et de mugs de café allongés. Ces îlots-là peuvent sans problème être externalisés dans un Star Buck des environs. Car personne n’a dit que les îlots devaient être réunis au sein de je ne sais quel camp de concentration : l’archipel des îlots peut se situer dans un nuage, à la manière du Cloud des datas.
  • Des îlots de récréation et d’incubation, indispensables à la créativité. Le babyfoot, le flipper, le billard ou le gros pouf dans lequel on peut se vautrer à l’heure de la sieste sont déjà un peu usés. On peut leu préférer un simple tapis persan avec de nombreux coussins étalés sur le sol. Qui a dit qu’on était moins créatif allongé qu’assis ?
  • Des îlots consacrés à l’échange structuré. Ces salles de conférences sont bien sûr équipées de matériel dédié aux présentations visuelles et aux réunions virtuelles avec des collaborateurs lointains. De Skype ou Facetime aux technologies sophistiquées proposées par Cisco, les possibilités de croisements de point de vue sont infinies.
  • Des îlots consacrés à l’échange informel. Rien de tel qu’un vrai café parisien avec une vraie terrasse avec des fauteuils en osier ou un vrai bar en zinc affublé d’un barman authentique. Qu’il est bien loin le temps des banales machines à Nespresso côtoyant une fontaine d’eau minérale !

Plus un espace de travail est décentralisé, différencié, destandardisé, plus la singularité des individus et des idées peut trouver son chemin au sein d’une entreprise singulière et vivante.

 

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