L’entreprise organique - Singularity academy
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L’entreprise organique

Depuis quelques dizaines d’années commencent à apparaître, en effet, un type d’entreprise très différent du modèle dominant depuis les débuts du capitalisme industriel. Jusque là une entreprise ressemblait à une machine. On pouvait la qualifier de “mécanique” dans la mesure où elle calquait son fonctionnement sur celui des machines qu’elle abritait. L’accumulation de capital rendue indispensable par l’ambition des projets (comme équiper les USA avec des rails d’aciers et des chemins de fer) impliquait une taille critique gigantesque, beaucoup de bras, un minimum de cerveaux, une centralisation maximale et une obéissance inconditionnelle du prolétariat. Les moyens de communication rudimentaires et les consignes circulaient pour la plupart sous forme de notes de services manuscrites. Des chaînes hiérarchiques interminables s’étendaient entre les rares ingénieurs et les armées d’ouvrier. L’information était purement descendante. Dans une usine qui ressemblait à une prison, chaque ouvrier était enfermé dans des horaires figés, à l’intérieur d’une fonction figée, cloisonnée, impersonnelle, répétitive et monotone, n’ayant aucun contact ni avec son patron, ni avec les clients, ni avec les utilisateurs finaux de son travail. Les ouvriers n’étaient au fond que des machines utilisant des machines à l’intérieur d’une machine.

La diffusion des nouvelles technologies de communication change le paradigme. Internet, le téléphone mobile puis la fusion des deux au sein d’objets nomades, multimédias et interconnectés comme nos smartphones actuels permettent aux travailleurs d’entrer en contact direct avec le propriétaire de l’entreprise, mais également avec les ingénieurs, les clients et même les utilisateurs finaux qui n’hésitent pas à faire connaître leurs réactions sur des sites 2.0 comme Booking ou Tripadvisor. Les schémas hiérarchiques et les arborescentes descendantes de communication formelle sont aussi dépassés que l’enfermement à l’intérieur d’une fonction, d’un local ou d’un horaire de travail. A quoi sert-il encore de séparer et d’enfermer lorsque le monde est devenu ouvert, interconnecté, transparent et mondialisé ? Réponse : à perpétuer encore un peu la rente de situation d’un intermédiaire ou d’un corporatisme devenu inutile. Mais cela ne peut durer qu’un temps. Le temps d’une révolution. De la révolution actuelle.

Si les entreprises d’hier calquent leur fonctionnement sur celui d’une machine et celles d’aujourd’hui sur celui d’un Smartphone, celles de demain imiteront celui d’un être vivant. C’est en ce sens qu’on pourra les qualifier d’“organiques”. Il faut imaginer une véritable organisation cellulaire avec au lieu d’un service, d’une usine, d’une division, d’une multinationale, une myriade de cellules toutes clientes les unes des autres : une entreprise constituée d’un maillage dense de TPE enchevêtrées.

Pour chacun de ces cellules, on peut imaginer un “compte de résultat cellulaire” avec en fin d’année (ou de projet) le versement à chacun des acteurs de la cellule d’une prime collective calculée sur les résultats obtenus par la cellule toute entière. On peut aussi imaginer au sein de chaque cellule deux élections annuelles : celle d’un président et celle d’un ambassadeur. Le partage de la prime collective de résultat garantit en effet que seront choisis les plus compétents sur le terrain (et non sur le papier comme dans les entreprises néo-bureaucratiques).

Comme au sein de n’importe quel organisme, les cellules avec le temps se spécialisent : certaines se consacrent à l’exercice d’une fonction régulière (exemple : une cellule comptable chargée de produire le bilan annuel), certaines s’orientent vers des projets ou des missions temporaires (exemple : une cellule dédiée à l’équipement de nouveau matériel), certaines, les “cellules transverses”, ont vocation à établir des passerelles entre toutes les autres cellules afin de faire jouer la convergence et de préserver la cohérence de l’organisme tout entier.

La paroi de ces cellules est comme de vraies cellules plus ou moins poreuse : un même individu peut se retrouver dans plusieurs cellules, exactement comme un acteur de cinéma ou un spécialiste des effets spéciaux peut tourner plusieurs films en même temps. Le mode du fonctionnement du cinéma préfigure d’ailleurs depuis longtemps le fonctionnement organique idéal. Une équipe se rejoint le temps d’un film puis disparaît avant de se reconstituer ailleurs avec les mêmes acteurs au sein de rôles différents.

La différenciation croissante du rôle des individus dans le fonctionnement des entreprises remet en cause la notion même d’entreprise au sens du 20ème siècle, c’est à dire celle d’un monstre durable à la paroi étanche. Ce monstre, centré égoïstement sur ses routines de fonctionnement interne, pourrait bien peu à peu, se faire remplacer par un simple noeud de projets enchevêtrés et continuellement renouvelés. Au sein de ces entreprises-projets s’agitent des équipes-projets elles mêmes en reconfiguration permanente autour d’individus-projets toujours prêts à se réinventer dans leurs projets multiples au sein de plusieurs équipes simultanées, lesquelles peuvent travailler pour plusieurs entreprises simultanément. Ne disons pas que ce modèle est utopique puisqu’il fonctionne très bien, depuis longtemps déjà, dans le monde universitaire ou celui du spectacle entre un directeur de théâtre et des troupes d’acteurs qui se renouvellent sans arrêt. Là où il y avait hier des entreprises, des services et des salariés, il y aura demain une cascade de projets mélangés.

Ce mode fonctionnement “organique” présente l’avantage d’offrir à l’entreprise l’agilité la plus grande possible. Dans un monde mou et flou il est de plus difficile de s’agripper à ce qui est sûr et dur. La connectivité universelle des machines et des hommes, la mondialisation de la culture et de l’économie, l’économie instantanée où le client ne supporte plus d’attendre, l’apparition de nouvelles générations qui ne supportent plus la frustration, la montée du décloisonnement, de l’accélération, de la complexité, du point à point, en un mot l’explosion de la singularité rendent obsolètes, anachroniques et impossible le fonctionnement traditionnel des organisations traditionnelles et pré-modélisées, qu’il s’agisse d’entreprises, d’administrations publiques ou même d’états tout entiers. Le temps des hiérarchies systématiques est terminé. Les organisations de demain seront fluides ou ne seront pas.

 

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