L’ingénierie du vivant - Singularity academy
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L’ingénierie du vivant

La décentralisation des outils de fabrication déclenche un florilège de créations singulières. La seule limite du nouveau système réside dans la créativité individuelle qui est encouragée par la nouvelle économie et son principe de destandardisation  : comme le sujet l’objet trouve sa valeur dans sa singularité. Ce qui est devenu possible devient une fin en soi. C’est l’avènement des objets uniques, des livres en un seul exemplaire, des expériences inédites, des services éphémères. Partout le sur-mesure remplace le prêt-à-porter.

Ce qu’on appelle aujourd’hui le “développement personnel” risque alors de partir dans des directions inattendues.

La puissance du réseau assure la notoriété et la promotion de chaque objet mais aussi de chaque sujet. Car la singularité même de chaque individu en fait un produit économique, le vecteur d’une expérience à faire dans sa rencontre, sa conversation ou sa fréquentation. Ce que je suis devenant ma valeur ajoutée, mon poids économique pour ne pas dire mon gagne-pain, mon narcissisme s’exacerbe et je vais chercher à protéger ce moi unique et précieux dont ma survie dépend. Pour le soutirer au temps je vais d’abord m’orienter vers les produits antirides et la chirurgie esthétique. Puis je vais essayer de me sauvegarder en brevetant mon ADN, en scannant mes cellules et les organes de mes vingt ans dans l’espoir de pouvoir les récupérer comme des pièces détachées le jour où l’organe d’origine faillira. Au pays de la singularité chaque individu devient en lui-même un produit précieux.

ingenierie-vivantTant qu’à jouer les apprentis-sorciers la tentation deviendra inévitable de franchir le pas et de modifier génétiquement ce que je suis, d’améliorer sans relâche non seulement ma singularité psychologique mais également ma singularité biologique qui en est le matériau premier. Ce qu’on appelle aujourd’hui le “développement personnel” risque alors de partir dans des directions inattendues. Le docteur Laurent Alexandre a montré dans “La mort de la mort” comment la stratégie d’Alphabet (Google) était à travers sa filiale Calico et de ses dirigeants (Ray Kurzweil et Arthur Levinson) de vendre à terme de l’immortalité en croisant au sein d’une gigantesque database le fichiers ADN avec les fichiers Espérance de vie. Mais pourquoi en rester là  ? Le mouvement transhumanisme prédit l’avènement très prochain d’humains 2.0 augmentés dont l’ADN aura été amélioré par des manipulations génétiques ou une sélection des naissances. Déjà en Chine les QI hors normes sont censés fournir la carte de leur ADN au gouvernement chinois et les parents chinois pourront bientôt, par une simple ponction in utero du liquide amniotique, connaître la qualité génétique probable de leur progéniture. En Europe occidentale où la sélection naturelle au contraire diminue pour des questions de principe (le droit de chacun à se reproduire à sa guise), la qualité biologique risque d’être soumise à une rude concurrence.

L’étape ultime de cette appropriation du Soi par le Moi se trouvera sans doute dans des voyages infinis dans l’Espace et dans le Temps. Les progrès de la médecine (incluant notamment le cours à la Phagothérapie), la sélection du code génétique initial, et le remplacement continu des organes défectueux comme on remplace les pièces détachées d’une automobile ne constituent qu’un début de l’extension de la durée de vie. L’apparition de scanner biologiques avancés capable de photographier un être vivant intégralement, particule par particule et quantum par quantum  ; d’algorithmes de compression numériques capables de réduire cette photographie à quelques milliers de Téra octets stockés en Cloud  ; et d’imprimantes 3D biologiques capables de répliquer des tissus, puis des organes, puis des organismes entiers constitueront une avancée décisive. L’entreprise Organovo, à San Diego est parvenue déjà à imprimer un fragment de foie. Synthetic Genomics Inc (SGI) poursuit des recherches actives en vue de la reconstruction d’un être humain.

Il ne reste alors pour l’individu singulier qui souhaite explorer l’univers que d’organiser le transport de ses fichiers génétiques vers une une exo-planète avant de les rematérialiser à l’aide d’imprimantes 3D organiques. Pour celui qui souhaite coloniser le Futur et le temps, il suffit de faire voyager son disque dur et son imprimante 3D à une vitesse proche de celle de la lumière afin de ramener quelques milliers d’années terrestres à quelques minutes de durée vécue. Seul inconvénient  : quand on voyage dans le temps on ne peut acheter que des allers simples. Et les individus projetés ainsi dans le Futur n’auront aucun espoir de retour. Il leur faudra, comme dans une arche de Noé, embarquer avec eux leurs proches, leurs animaux de compagnie et même l’ensemble de leur écosystème. La singularité ultime devra se contenter de vieux souvenirs.

Bien plus efficaces, plus rapides et moins coûteuse que les voyages en fusée, voici venir les techniques de téléportation sous forme d’ondes électromagnétiques. Ces techniques, à l’étude dans les laboratoires de et J. Craig Venter (JCVI), sont en cours d’élaboration. La vie peut alors voyager à la vitesse de la lumière. Un aller-simple sur Mars peut ainsi être effectué en 4,3 minutes, au moment où la planète est au plus près de la Terre. Un synthétiseur génétique dont la conception pourrait également être téléportée se charge alors sur place de réincarner à la manière d’un Fax tous les objets et les sujets expédiés depuis la Terre. Il y a vraisemblablement sur Mars et les autres planètes de notre galaxie suffisamment de matériaux différents, et souvent sous l’écorce, d’océans souterrains non seulement pour permettre la migration de tous les êtres singuliers qui peuplent notre monde mais pour générer des atmosphères, des villes souterraines, ou encore des chimères inédites, des humaines modifiés capables d’évoluer dans ces environnements nouveaux.

En attendant une médecine “à la carte” fondée non plus sur la production industrielle de médicaments mais sur le traitement au cas par cas de chaque patient en fonction de son génome singulier va peu à peu fonder les bases d’une “singularité médicale” qui va peu à peu compléter la singularisation du vivant. Le moi, nouvelle frontière et nouvel horizon, va faire l’objet de tous les soins. Il sera non seulement jalousement protégé par les compagnies d’assurance, mais également quotidiennement entretenu et travaillé comme une œuvre d’art. L’ingénierie du vivant conduit à terme à la sculpture du moi singulier.

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