Le rôle des dirigeants - Singularity academy
23253
single,single-post,postid-23253,single-format-standard,ajax_fade,page_not_loaded,,select-child-theme-ver-1.0.0,select-theme-ver-3.4,wpb-js-composer js-comp-ver-4.12,vc_responsive

Le rôle des dirigeants

Le respect des singularités individuelles est une évidence dans les start up. Dans un état proche de l’amour naissant, les individus sont étonnés de se découvrir autant de possibilités enfouies : ils se découvrent en même temps que leurs collaborateurs. C’est avec le temps que les choses se compliquent parfois. Comme de la lave en fusion quand elle se refroidit, les sous-systèmes se pétrifient avec le temps. Le “service comptable” ou le “service informatique” développent des procédures et des procédures. Si ces procédures présentent des avantages évidents en terme de cohérence locale, elles deviennent un problème pour la cohérence globale. Au fil du temps ont voit se développer des citadelles, quelquefois des ghettos ou sévit l’apartheid. Le service comptabilité et le service commercial s’ignorent, se méprisent et se livrent une guerre froide sans merci quand il faudrait au contraire déployer les synergies.

Cette évolution qui apparaît surtout quand l’environnement est exempt de menaces n’a rien de très originale. Elle est connue des géologues sous le nom d’érosion naturelle, des politiciens sous le nom d’usure du pouvoir, des gastronomes sous le nom de moisissure, des comptables sous le nom d’amortissement. Elle décline sous toutes les formes une caractéristique si essentielle du temps qui passe qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas de sa définition. Les physiciens la baptisent sous le nom d’entropie ou de seconde loi de la Thermodynamique de Carnot. Selon eux tout système, quand il est isolé, tend à perdre peu à peu son énergie. Même un thermos rempli de café brûlant s’aligne peu à peu sur la température ambiante.

L’encadrement d’une entreprise, qu’il s’agisse des hiérarchiques (comme les responsables de services) ou des matriciels (comme les services RH ou Supply chain) n’échappent pas à la règle. On leur a demandé à des cadres d’incarner un service, une BU (business unit) ou une agence, c’est à dire un sous-système plus ou moins isolé. Avec le temps ils se sont tout naturellement identifiés à ce système local qu’ils vont tâcher de faire fonctionner le mieux possible, fût-ce au détriment du système global. L’arbre oublie la forêt.

Le pouvoir local pétrifie. Avec le temps, toute fonction tend à se transformer en une situation de rente confortable où la prévisibilité nécessaire l’emporte et sur le respect des singularités individuelles et sur l’intérêt général. La logique du comment vient contredire celle du pourquoi qui l’a pourtant appelée. Avec le temps qui passe les organisations congèlent et les cadres intermédiaires sont emportés, souvent bien malgré eux, dans une logique de barons, soucieux de protéger l’indépendance et le confort de leur principauté.

Cette situation conservatrice est rarement compatible avec l’intérêt général qui est au contraire tourné vers le futur. L’innovation est rarement compatible avec l’institution. Le rôle des dirigeants d’une entreprise sera donc souvent diamétralement opposé à celui de ses cadres intermédiaires. Il sera malgré lui obligé de livrer une guerre épuisante contre des individus qu’il a pourtant choisis et dont il apprécie le professionnalisme. C’est à ce prix que sera maintenu un équilibre précaire et toujours à reconstruire entre le pourquoi et le comment, entre la cohérence de la mécanique et la nécessité d’une vision à long terme.

Le rôle d’un dirigeant consiste à exercer une action né-entropique, une action correctrice du temps qui passe. Il lui faut compenser les phénomènes de pétrification par une “vision organique” qu’il doit, pour être crédible, incarner personnellement en payant de sa personne et de son confort personnel. Toute vision organique repose sur la suppression continue de toutes les procédures et les intermédiaires qui ne sont pas absolument indispensables et qui cependant rappliquent inévitablement avec le temps qui passe. Tout se passe comme si le rôle d’un leader était de rendre de l’oxygène à ceux qui sont menacés de le perdre. Il doit encourager ses collaborateurs à déployer toutes leurs ressources en termes de compétences, de créativité et de culot. Il lui faudra aussi dans les heures sombres les coacher afin de les libérer de leurs croyances limitantes. Le plus souvent, il sera celui qui pousse les hommes au delà de leurs limites.

La vocation d’un leader organique consiste à libérer son entreprise des procédures et des cloisonnements fonctionnels qui comme la poussière en dessous d’un tapis revient continuellement si l’on ne passe pas un coup d’aspirateur chaque au moins une fois par semaine. Au delà des règles générales, son rôle est de reconsidérer l’exception que chaque collaborateur est au fond de lui-même. L’organique est d’une certaine façon l’inverse de l’organisation. L’organisation passe du général au particulier tandis que l’organique procède de la singularité particulière pour émerger vers une dynamique générale. D’une certaine façons les entreprises mécaniques d’hier ressemblaient à des orchestres de musique classique avec une partition précise et un chef d’orchestre mandaté pour la faire respecter tandis que les entreprises organiques de demain fonctionneront, fonctionnent déjà parfois comme des “bœufs” jazz ou des guitaristes qui quelquefois ne parlent même pas la même langue, s’accordent merveilleusement sur un standard commun qui les inspire. Un dirigeant dans un orchestre de ce genre n’est plus un dirigeant : il est simplement le propriétaire du théâtre. Son vrai métier consiste à faire confiance en sachant reconnaître faire connaître le talent singulier des artistes tout en les motivant à la conjugaison de ces talents.

No Comments

Sorry, the comment form is closed at this time.