Le management différentiel
Ce qui est vrai de la façon de communiquer avec un interlocuteur l’est également de la façon de communiquer avec plusieurs. Je propose d’appeler “Management différentiel” l’art de différencier son mode de communication collective en fonction du profil de chacun de ses collaborateurs mais également en fonction de la diversité des situations rencontrées. Voici quelques exemples.
Le management charismatique est le style préféré des leaders, des hommes à la forte personnalité qui ne supportent pas les directives mais qui adorent en donner. Renault, Dassault ou Steve Jobs ont véritablement été l’âme des empires qu’ils ont créés. Amputé de Steve Jobs en 1985, Apple dépérit en attendant son retour en 1997. Même s’il avait mauvais caractère car comme disait Chirac “Un chef, c’est fait pour cheffer”. Directif au plus haut point, le manager charismatique ne supporte pas la contradiction. Il ne supporte pas non plus l’attente, l’imperfection, la médiocrité. Il juge souvent incompétent ses cadres et ses colères sont redoutables. Pourtant il est très populaire auprès des troupes qu’il sait séduire par sa simplicité et ses talents d’orateur hors pair. Il adopte facilement des attitudes paternalistes et se préoccupe de qu’il estime être le bien de chacun. Il n’hésite jamais à se faire l’interprète des besoins, des désirs et des pensées de ses collaborateurs comme de ses clients. Il trouve sa place aux heures sombres quand il faut fixer le cap et imposer un changement radical, surtout dans les pays centralisés comme la France, la Chine ou la Russie qui affectionnent les hommes ou les femmes providentiels comme Napoléon, Mao, Pierre le Grand, Catherine II ou De Gaulle. Ce type de management développe le sentiment d’appartenance, parfois de dévotion.
Il s’accompagne aussi souvent d’une certaine infantilisation qui peut conduire à la révolte. C’est ce qui est par exemple arrivé en fin de carrière à Louis XIV, à Napoléon ou à De Gaulle avec Mai 68. Le leader charismatique est l’homme des projets grandioses, des défis impossibles et surtout des crises aigües, qu’il sait résoudre mieux que personne… mais qu’il s’emploie aussi à créer quelquefois inutilement.
Pour échapper à l’aléa des caprices personnels de “l’homme providentiel” de nombreuses collectivités préfèrent un management impersonnel plus objectif, plus rationnel, moins excessif. Ce type de management est très fréquent dans les groupes internationaux diversifiés ou d’entreprises dont la fonction publique serait bien encombrée par une vision grandiose. Total, les banques, les administrations, les hôpitaux, la RATP ou les aéroports obéissent à une logique froide qui s’impose quand l’unique problème est de parvenir à bon port avec un minimum de vagues. Dans ces organisations le vrai pouvoir appartient… aux procédures. Normal qu’elles soient bichonnées, améliorées, optimisées continuellement. Toyota, qui est exemplaire de ce point de vue prend le temps d’expliquer ce principe à tous les nouveaux venus : 1. Remettez sans complexe en cause les process, même quand il ne vous concerne pas. 2. Négociez les process jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé dans l’intérêt général. 3. Quand un process est installé respectez le sans exception. L’homme providentiel a bien du mal à se positionner ici. Pour manager une organisation de ce genre, mieux vaut avoir le sang froid. Pour exercer le pouvoir, disait Mitterand, une fois élu président d’un pays particulièrement bureaucratique, il faut avoir “la passion de l’indifférence”.
Le problème, c’est que l’indifférence est contagieuse et que par effet miroir elle se retourne contre celui qui l’exerce. Quand une organisation vous considère comme un matricule vous lui rendez la motivation, l’audace et la créativité d’un matricule. L’inertie, la médiocrité et la déloyauté constituent la face sombre du management impersonnel qui n’est décidemment pas fait pour réinventer le monde. Par l’ennui qu’il impose, il provoque souvent par contrecoup, l’apparition en masse de faux problèmes, de comportements aberrants, de “risques psychosociaux”, dont l’objectif secret n’est autre que de réinjecter un peu d’humain dans un monde de robots.
Le management consensuel s’efforce de pallier à ces inconvénients en privilégiant le respect des singularités individuelles sans qu’aucune ne prédomine de manière écrasante. Il valorise l’écoute, la tolérance et la simplicité. Madame Merkel s’est rendue populaire en faisant la queue comme tout le monde au supermarché près de chez elle. En Allemagne, mais aussi dans la plupart des pays nordiques et au Japon, on accorde le plus grand prix à la concertation, à la recherche d’un consensus qui présente l’avantage de limiter les vagues et les frondes ultérieures. De grandes entreprises de pointe sont réputées pour pratiquer ce style, comme Daimler Benz, Sony, Toyota ou Cisco, mais également un grand nombre d’ONG comme Greenpeace ou la Croix rouge. Il facilite la réflexion et le dialogue ouvert. Il est particulièrement indiqué lorsqu’il est nécessaire de reconstruire une organisation après une crise.
En revanche, le management consensuel ne favorise guère la prise de décision. Il lui arrive de s’enliser dans de longues réunions sans issue. L’obsession du consensus n’aboutit quelquefois qu’à une situation de paralysie sympathique. Si à plusieurs on va plus loin, on n’y va pas toujours très vite.
Les grandes entreprises de l’internet : Google, Apple, Amazon, Facebook proposent un autre style managérial qu’on trouve aussi dans le monde de la Presse, de la recherche ou du divertissement. Ce modèle régit par exemple le fonctionnement de l’INSEAD, du journal Le Monde ou du Cirque du Soleil. Il semble s’épanouir plus particulièrement sur la côte pacifique en Amérique du Nord ainsi que dans l’archipel High Tech des technopoles dans le monde entier. A la différence des styles impersonnels ou consensuels mais comme le style charismatique il est fortement incarné par des individus haut en couleurs comme Marc Zuckerberg, le pape François, le Dalai Lama, Gandhi ou Nelson Mendela. Ce style qu’on peut qualifier de management collaboratif s’efforce de réconcilier le meilleur des styles charismatiques et consensuels même s’il tourne cent le dos au style impersonnel. Du style consensuel il conserve l’idée du respect de la singularité de chacun et de la confiance individuelle. Google va jusqu’à laisser une journée de libre par semaine à chacun de ses collaborateurs pour se dédier à l’exploration de nouvelles pistes. Du style charismatique il retient l’idée de la vision centrale. Les entreprises collaborateurs sont véritablement centrées sur un leader qui incarne clairement la vision d’un monde auquel tous les collaborateurs ont envie d’appartenir. Il sait rassembler ses équipes en interdisant les clivages, les territoires et les rentes de situation. Il livre une guerre sans pitié à tous les monopoles, les territoires, les petits chefs et tout ce qui peut rigidifier le fonctionnement de l’entreprise. Il sait que toute organisation, comme le béton, tend à se pétrifier si on ne l’agite pas continuellement. Les rentes de situations et les complications inutiles qui les déguisent s’accroissent naturellement avec le temps. Sa vision sera donc avant tout celle d’une intelligence collective, d’une entreprise vivante, capable de se réinventer, de se défaire et de se refaire continuellement en fonction des aléas de l’écosystème. Le management organique repose presque entièrement sur le développement de ses ressources humaines. Le manager de ce style aide chacun à trouver sa propre voie et évite de dicter à ses collaborateurs la conduite qu’ils doivent tenir. Doté d’une grande qualité d’écoute, ce n’est que quand on le sollicite qu’il partagera son avis. Il n’intervient aussi peu que possible dans l’organisation du travail afin de préserver sa fluidité et sa capacité à se réinventer continuellement en fonction des fluctuations de l’écosystème.
Evidemment ce style managérial présente des inconvénients dont est exempt le style managérial : on y ressent des turbulences et le burn out n’y est pas rare. En revanche, il permet plus facilement que les autres de sortir d’une impasse à la façon d’un joker. La fluidité, la créativité et l’ambiance de liberté qu’il entretient favorisent l’engagement et ce qu’on appelle aujourd’hui le « bonheur en entreprise », qui est aux antipodes du « confort en entreprise » qu’on trouve dans certaines administrations. Le management collaboratif est le seul qui soit capable de mobiliser en permanence toutes les ressources humaines d’une entreprise confrontées à un monde complexe et mouvant comme celui des singularités croisées. C’est en cela qu’il est vraiment moderne.
Aucun style managérial n’est en réalité meilleur que les autres. L’important est de tous les connaître et de savoir tous les utiliser en fonction des circonstances. Il n’y a pas vraiment de bon ou mauvais style. Chacun d’eux est simplement plus ou moins adaptés à un environnement économique ou culturel, au niveau d’autonomie d’une équipe, à une situation d’urgence ou de confort. Néanmoins deux constations émergent de ce comparatif :
- La première est qu’on ne fait qu’à son détriment l’impasse sur la singularité individuelle de ses collaborateurs. Les êtres humains ne supportent guère l’indifférence dans la durée. Les outils de la communication différentielle exposés dans leçon précédente pourront ici être d’un secours précieux.
- La seconde est qu’il est plus moderne pour un leader, plus adéquat au sein d’un monde de plus en plus singulier, d’avoir de son entreprise une vision organique centrée sur le “pourquoi” qu’une vision mécanique centrée sur le “comment”. La vision du “pourquoi” polarise la singularité de chacun autour d’une singularité centale et permet à chacun de vivre son identié. La gestion du “comment” au contraire subordonne l’identité à l’observation de procédures normatives. Les mondes singuliers aiment les leaders uniques.
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