Le divertissement éducatif
Une dernière famille de technologies impactera profondément les industries de l’éducation et du divertissement qui à terme fusionneront dans un secteur économique promis à un boom fantastique : l’industrie du virtuel.
Le moment arrivera où il sera quelquefois impossible de faire la part des choses entre le réel et l’image ou plus exactement l’expérience de synthèse.
Déjà les “pure players“ que sont GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) auxquels il faut adjoindre Microsoft et Samsung ont fait des industries hallucinogènes une de leurs grandes priorités. Aux Google glasses à réalité augmentée succèdent des casques à immersion totale comme celui de Microsoft Helmet. De version n en version n+1 stimulée par une concurrence effrénée, nos Smartphones ou iPhones actuels vont progressivement évoluer vers des machines encore plus hypnotiques. Et la réalité ordinaire paraîtra de plus en plus en plus plate à côté de ces nouveaux paradis artificiels. Déjà la plupart des ados trouvent la conversation de leurs parents dérisoire à côté de celles de leur iPad. Que restera-t-il de la vie de famille une fois qu’ils disposeront de vêtements bourrés de capteurs et de simulateurs, de combinaisons étanches capables de reproduire avec un réalisme fou la sensation d’un saut en élastique ou la résistance du corps de l’adversaire ennemi dans une bagarre sans merci ? Le moment arrivera où il sera quelquefois impossible de faire la part des choses entre le réel et l’image ou plus exactement l’expérience de synthèse.
Voici donc un horizon nouveau qui se dessine pour l’industrie du divertissement. Les cinémas deviendront de plus en plus multi-sensoriels comme ils le sont déjà dans les parcs d’attraction américains avec une symphonie se sensations physiques : du vent, de la pluie, du feu, des odeurs du mouvement. Plus, comme tout le reste, ils se singulariseront avec des possibilités d’interaction sans précédent. Une fois immergé sous le casque, la combinaison ou le scaphandre, le sujet sous hypnose pourra faire évoluer à sa guise le scénario, la durée de l’aventure et peut être même son propre corps, pouvant ainsi rajeunir, devenir soudain très beau, très fort ou très doué afin d’anéantir tous ses rivaux et de faire tomber sous son charme une créature de rêve. Evidemment les repas à table avec les parents, les cours en classe et les vacances en colonie deviendront parfaitement non compétitifs. La réalité sera devenue un enfer de monotonie et une obsession s’imposera : replonger au plus vite dans la drogue.
Evidemment cette culture du virtuel rendra à terme les jeunes complètement fous et complètement inadaptés à la vraie vie et il faudra que la famille, l’école, l’état ou les compagnies d’assurance se chargent de les débrancher, de les déconnecter ou de les mettre à la diète.
Cette diète risque cependant d’être de courte durée car les intérêts en jeu sont colossaux. Et les acteurs concernés sont nombreux. La publicité par exemple, qui a toujours su s’insérer dans les circuits du divertissement en copiant ses techniques. Ou encore les médias, toujours avides de captiver et de fidéliser leur audience. Ou encore les écoles, les universités et les organismes de formation, toujours à l’affut de pédagogies innovantes et d’effets spéciaux, surtout quand il s’agit de faire acquérir de nouveaux comportements relationnels. Les actuels programmes de e-learning et autres MOOCS, s’ils obtiennent quelques résultats dans la transmission du savoir, deviennent parfaitement inadaptés quand il s’agit de faire évoluer dans le savoir-être-ensemble. Les “mises en situation“ propices à l’acquisition de nouveaux comportements relationnels seront grandement facilitées par ces nouvelles technologies. L’aptitude au travail en équipe, par exemple, peut s’acquérir par l’immersion dans jeu de rôle virtuel. La frontière entre l’éducatif et le divertissement s’abolit.
Il y a au pays du savoir une sorte de pyramide avec des couches superposées de plus en plus minces mais de plus en plus rentables. En bas le savoir informel qui ne vaut pas grand choses : les infos qu’on peut par exemple collecter sur Facebook. Puis vient le savoir académique distribué dans les écoles ou sur Wikipedia. Au dessus encore apparaît le savoir faire-technique, monayable s’il est rare et demandé. Dans les couches supérieures on trouve ensuite l’intelligence interpersonnelle, c’est à dire la faculté de déchiffrer la singularité complexe de ses interlocuteurs. La pyramide culmine avec l’intelligence intra personnelle, c’est à dire l’aptitude à comprendre ma propre singularité, celle de mes besoins réels cachés sous mes désirs conscients et mes croyances confortables. Ces socio-compétences sont les clefs de l’intégration professionnelle (de demain comme d’hier) bien plus que les techno-compétences exigeantes en QI, mais souvent éphémères. Elles sont accessoirement l’une des clefs principales du bonheur.
La singularité éducative ne pourra plus se contenter de dispenser du savoir académique. Si son objectif reste de préparer à l’autonomie de la vie adulte, il lui faudra évoluer afin de pouvoir transmettre ce qui comptera de plus en plus demain : un maximum d’agilité mentale et relationnelle, une aptitude à calibrer le référentiel de ses interlocuteurs, à émigrer dans le cœur ou dans l’esprit de l’autre, à se décentrer de ses propres certitudes.
Pour y parvenir, la pédagogie optimale ne sera certes plus la position assise, passive et prolongée, noyée dans une classe, emmurée dans une école. Les pistes les plus intéressantes seront à chercher plutôt du côté de la vraie vie, donc un mix entre l’étude de cas réel et la mise en situation. Ce genre d’exercice, où l’on découvre peu à peu le cas à traiter par l’interview d’un donneur d’ordre qui ne dit pas clairement ou immédiatement les choses, suppose par exemple une maîtrise de l’art de la question.
L’art de déconstruire les protocoles éducatifs peut également être très efficaces car la réalité n’est pas faite de protocoles. La vie c’est ce qui nous arrive tandis qu’on fait des plans. Le pédagogue de la singularité sera expert dans l’art de brouiller les cartes, les disciplines, les lieux d’apprentissage, les méthodes pédagogiques, les canaux, les technologies, les horaires. Au pays de la singularité tout se mélange, comme dans la pratique d’une langue étrangère où il n’est pas possible de dissocier le vocabulaire, la phonétique et la grammaire. C’est en déconstruisant, en dé-standardisant et en dé-formatant les protocoles pédagogiques qu’on accélère le plus l’apprentissage d’une langue vivante ou l’aptitude à traiter des problèmes à dimensions multiples.
La singularité éducative relève plus de l’éveil personnel que de l’instruction publique.
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